PENURIE DE PERSONNEL INFIRMIER : L’ASD BW TRINQUE !

PENURIE DE PERSONNEL INFIRMIER : L’ASD BW TRINQUE !

INTERVIEW  

Equipe restreinte, sélection des soins, recrutement difficile, ...  L'ASD BW n’est pas épargnée par la pénurie de personnel soignant. Chaque jour est désormais un combat. Comme à chaque crise vécue, la devise est la même : « un pour tous et tous pour un ». 
Dominique Reinquin est infirmière cheffe depuis plus de vingt ans. Elle n’a jamais connu pareille situation. 

Avec une équipe de quarante-deux infirmières au lieu d’une cinquantaine habituellement, cette situation inédite demande une gestion méticuleuse des tournées. Rationnelle et pragmatique, Dominique envisage un jour à la fois et compte sur la solidarité de son équipe mais, aussi, de ses patients. 

Concrètement, comment la pénurie de personnel infirmier se vit au quotidien ? 

Nous sommes malheureusement obligés de sélectionner et de refuser certaines demandes de soins. Que ce soit pour un simple pansement ou une piqûre, nous devons nous demander si nous pouvons l’intégrer aux tournées. C’est un véritable casse-tête chinois pour faire entrer un nouveau patient. 

"Sur le secteur de Lasne/Rixensart, nous sommes contraints de refuser tous les nouveaux patients. C’est catastrophique." 

Comment ces refus sont vécus par l'équipe ?

Ce n’est évidemment pas agréable mais je pense qu’il faut rester rationnel. La situation est la même partout. Les groupes d’indépendants ont le même problème. Les hôpitaux également. La situation est connue; la plupart des gens se montrent compréhensifs. Les hôpitaux et les médecins savent pertinemment qu’on fait actuellement notre maximum et qu’ils pourront à nouveau compter sur nous dès que nos équipes seront complètes. 

La frustration des patients est-elle palpable ? 
 

Pour l’instant, les gens sont indulgents et solidaires ... Mais jusque quand ? 

Qu’est ce qui est le plus préoccupant ? 

 "Ce qui est dramatique, c’est l’impact que cela aura à long terme sur notre activité globale. Les patients que nous avons refusés une fois, ne reviendront pas."

Je pense qu’il faudra plus d’un an, lorsque la situation RH sera à l’équilibre, pour retrouver une activité normale et dynamique.
Les personnes qui cherchent un infirmier à domicile et qui ne trouvent pas à l’ASD trouvent une autre solution. Ces personnes, lorsqu'elles auront à nouveau besoin de soins, s’orienteront vers la personne qui aura pu les aider. C’est normal et nous ne pouvons malheureusement rien faire contre ça.

Cela fait plus de vingt ans que tu es infirmière cheffe, as-tu déjà connu pareille situation ? 
 

Nous avons déjà eu des périodes avec moins d’effectifs mais nous n'avons jamais vécu ce qu’il se passe maintenant. Aujourd’hui, nous ne pouvons tout simplement pas remplacer les absences, ni les départs. Ce n’est pas possible. Donc nous nous organisons avec une petite équipe. Petite mais solidaire. Et c’est ce qui fait toute la différence. 

Il vous manque +- sept infirmiers à temps plein pour vous permettre de fonctionner normalement. Comment faites-vous ? 
 

Chaque jour est un combat ! J'ai la chance d’avoir une équipe très disponible ainsi que l’aide précieuse des aides-soignantes, ce qui permet de tenir le cap. Il y a énormément de communication et de partage entre nous toutes.

"Il y a la fatigue, certes, mais il y a cette profonde solidarité et cette volonté de faire le max’ qui surpasse le reste !"  

Néanmoins, elles travaillent toutes un week-end sur deux, doivent les récupérer et poser leurs congés. Tout cela n’est pas tenable sur le long terme. 
 

Au sein du département infirmier de l'ASD, beaucoup d’entrées sont recensées mais presque autant de sorties (deux tiers-). Comment expliquerais-tu que certains entrent à l’ASD mais ne restent pas ? 


Pour faire du domicile, il faut du tempérament et beaucoup d’énergie. Il faut l’envie et la motivation. Ce n‘est pas rien de rentrer dans l’intimité des gens, de sillonner les routes. Certains ne savent pas à quoi s’attendre ; après quelques jours, ils se rendent compte que ce n’est pas fait pour eux. 

Les personnes qui restent sont souvent des gens qui ont trouvé leur voie. Plusieurs étudiants sont tombés amoureux du métier pendant leur stage à l’ASD. Ce sont des personnes qui restent ensuite. 

Et ceux qui partent ?

Des candidats sont parfois déjà fatigués avant d’entrer. Ils fuyaient une situation (à l’hôpital ou ailleurs) mais sans savoir ce qu’ils voulaient. Certains ont une image biaisée des soins à domicile. Ce n’est pas seulement quelques toilettes devant un lavabo, il y a de plus en plus d’hospitalisations à domicile, de situations lourdes pour lesquelles il est nécessaire d'être à plusieurs.

"Le domicile n’est pas une voie de repos, que du contraire". 

 

Parfois c’est une aussi question d’horaire. Bien que l'ASD s'oriente de plus en plus vers les horaires fixes, il reste l’inconfort des week-ends et des horaires coupés. Il faut pouvoir l’envisager. 

Notons également que la plupart des temps de travail sont partiels et, qu’en plus de cette constante, il y a aussi des personnes qui entrent à l’ASD pour compléter leur temps de travail de quelques jours par ci, par là. Ces contrats à horaires « flexibles » et/ou de remplacements occasionnels ne permettent pas de couvrir la demande.
Il faut aussi compter les jobistes de l’été qui sont venus apporter une aide ponctuelle et qui sont ensuite retournés à l’école, d’où des entrées et sorties supplémentaires. Sans oublier les récents départs à la pension. 

Enfin, c’est un métier principalement tenu par des femmes; quatre congés de maternité ont démarré juste avant l’été. 

tournée infirmiere
Les revendications sont claires, il est question de revalorisation salariale, de reconnaissance, de refinancement du secteur...
 

Pour moi, et avant toute chose, le métier devrait être reconnu comme métier pénible. Cette reconnaissance permettrait d’avoir la perspective d’un repos à un âge acceptable.  Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas encore le cas. Mon équipe compte cinq infirmières de plus de 59 ans, elles savent qu'elles ne pourront pas s’arrêter sans perte financière. 

"Dans mon équipe, certaines infirmières sont cassées physiquement; elles travaillent avec un corset parce que leur dos à trinqué toute leur vie. Je voudrais que celles qui n’ont plus la force de travailler puissent s’arrêter. A soixante ans, ressortir pour une tournée le soir est très fatigant." 

C’est la priorité pour toi ? 
 

Il y  a aussi la question de la qualité du travail et du temps passé chez le patient. Nous sommes là pour prodiguer des soins mais nous ne pouvons pas prendre le temps de nous arrêter et d'écouter les gens. 

"Avant de parler de revalorisation salariale, il faut, selon moi, pouvoir retrouver l’essence même du métier, c'est-à-dire pouvoir être disponible pour ceux qui en ont besoin. Pouvoir davantage être dans le "prendre soin" plutôt que le "faire des soins". "

Lorsque mes équipes rencontrent des situations difficiles, je fais tout mon possible pour reconnaitre ce temps supplémentaire passé chez le patient comme temps de travail. C'est là qu'il y a un problème, ça ne devrait pas être si tendu de valoriser ce temps. Tout le secteur médical est confronté à cette problématique. Cela nécessiterait de repenser le financement des soins.

Comment appréhendes-tu l’obligation vaccinale qui ajoutera une nouvelle difficulté ?


Je suis convaincue par la vaccination et suis moi-même vaccinée mais je suis pour la liberté. Certaines ont peur du vaccin. Deux ou trois personnes de mon équipe sont prêtes à perdre leur numéro INAMI… Il s’agit donc d’une vraie peur; une peur tellement forte, qu’elle en amène certaines à accepter de perdre leur métier. Ce sera un choix réellement déchirant pour elles. Mais cela ne dépend plus de moi. 

Ce qui est fort, c’est qu’en 2020, au pic de la crise, nous étions sur le front pour soigner les gens, en plein pic de la pandémie. Le gouvernement a dit à tous les infirmiers d’aller bosser et, maintenant, ces mêmes infi' pourraient perdre leur job. Le timing n’est pas cohérent. Le débat pour moi devrait plutôt se centrer sur les responsabilités et la sensibilisation, plutôt que l’obligation et les sanctions. 

Mais un des arguments tenus est la protection des patients… 


Il est évident que la vaccination reste la meilleure arme, associée aux gestes barrières, pour lutter contre la propagation du virus, et la protection des patients est, bien entendu, notre priorité.  Toutefois, rappelons que notre travail se fait dans le respect le plus strict des mesures de précaution. Nous sommes ultra équipés et ultra méticuleux lors des visites. Nous avons été drillés et je n’ai jamais eu de cas de transmissions croisées. Les transmissions qu’on a connues n’étaient pas issues du personnel ASD. Idem pour les hôpitaux, quid du personnel non-soignant qui se rend dans les chambres, etc. ? La protection des patients est, pour moi, un non-argument.


Tu appréhendes la décision ? 
 

Soyons rationnels. Au stade où nous en sommes… Il y a tellement de choses qui nous tombent dessus. Nous ne pouvons pas savoir ce qu'il se passera d’ici là. Ce sont des éléments qu’on ne peut pas contrôler. 

Je suis en admiration devant le courage de mon équipe et je ne paniquerai pas maintenant. Nous restons solidaires. Mon équipe me porte, nous verrons comment nous en sortir au moment venu. 

réunion
Comment fais-tu pour tirer cette énergie et ne pas te décourager ? 
 

Ne perdons pas de vue les fondements des choses. Quand je reçois des retours positifs de patients, des patients qui félicitent nos prestations, je prends conscience que nous avons encore de l'énergie pour accompagner les personnes comme il se doit. C’est là que réside l’essentiel. 

Même si nous manquons d'infirmiers, et malgré cette situation inédite, je salue les valeurs fondamentales du métier qui nous unissent.

"Dans les yeux et les corps fatigués, on peut toujours lire « une pour toutes et toutes pour une ». Je ressens vraiment cette solidarité. Je trouve toujours du soutien dans les moments difficiles. S’il n’y avait pas cette entraide, nous ne tiendrions pas."

Interview de Chloé Christiaens